Publié le 9 mai 2022 Mis à jour le 5 septembre 2024
le 16 septembre 2022
Campus Berges du Rhône
Minuit
 

Appel à communications pour un colloque international organisé les 24 et 25 mars 2023

Quand elle désigne l’impression d’une forme sur une surface, l’empreinte n’est qu’un procédé technique parmi d’autres. Mais sitôt qu’elle est perçue comme le témoin privilégié du passage d’un corps sur un autre, ou comme la preuve de la présence passée d’un objet ou d’un être absent, alors l’empreinte acquiert une valeur et devient objet de polémiques.

Ainsi, il y a des empreintes que nous aimons (re)découvrir et contempler :  les géoglyphes, les empreintes positives ou négatives d’une main sur la surface d’un mur de grotte, l’empreinte d’un dinosaure enfermée par la roche, ou encore les empreintes des instantanés photographiques et de la durée cinématographique.

À l’inverse, il existe des empreintes que nous percevons avec angoisse, parfois avec regret, et dont nous questionnons la véracité du message, de l’identité, du renseignement, ou la conséquence de l’information. Par exemple, l’empreinte carbone, plus largement l’empreinte écologique, ou l’empreinte numérique nous invitent à penser l’héritage que nous laissons. Si ces empreintes sont au cœur de tant de revendications et qu’elles feront probablement l’objet des grandes manifestations et révolutions des prochains siècles, c’est peut-être à cause de leur caractère persistant, du fait qu’elles peuvent être monétisées aux dépens des utilisateur.ices, ou parce qu’elles sont la marque d’un rapport socialement désapprouvé de l’humain à la nature.

Par conséquent, depuis la constitution de la préhistoire en discipline scientifique au cours du XIXe siècle, jusqu’aux déploiements les plus récents des capacités des usines et des technologies, les valeurs morales, éthiques, ou déontologiques de l’empreinte n’ont jamais cessé d’évoluer. Quelles sont les répercussions intellectuelles, artistiques et littéraires de ces jugements ? Une telle problématique implique que, dans ce colloque, nous n’observions pas des métamorphoses strictement esthétiques, bien qu’il faille s’appuyer sur une poétique de l’empreinte qui passe par des sublimations ou des détournements (cf. la série sur les hydropithèques de Joan Fontcuberta). Il sera surtout question d’interroger la façon dont les artistes et les écrivains investissent les enjeux politiques posés par l’approche scientifique de l’empreinte.

Force est de constater que ces enjeux s’articulent souvent autour de récits rétrospectifs ou bien prospectifs. Autrement dit, l’empreinte a tendance à susciter deux types de fictions anthropologiques : une première relative à nos origines (d’où vient la trace ?) et une seconde relative à notre avenir (comment la trace sera-t-elle reçue ?). Bien sûr, chaque posture sert principalement à interroger le temps présent. Toutefois, cette distinction rend le sujet ambivalent : prendre l’empreinte comme objet, est-ce un geste d’arrière-garde ou d’avant-garde ? Cela revient-il à s’inscrire dans un héritage ou à le renier ? C’est en gardant à l’esprit cette double postulation qu’il peut être fécond d’interroger des œuvres très diverses ou d’en produire de nouvelles. Une place spécifique reste néanmoins accordée à la préhistoire et aux dispositifs numériques, parce qu’ils schématisent efficacement ce rapport ambivalent de l’empreinte au passé et au futur.
 
AXE 1 : Préhistoire : passée et future

Contrairement aux autres disciplines historiques, la préhistoire repose sur des empreintes non intentionnelles, puisque même le geste initial qui a présidé à la composition des peintures pariétales ne visait probablement pas à archiver le présent. L’excavation des documents fossiles et la mise au jour de ces empreintes fondent le socle de la reconstitution spéculative en laissant le champ libre à la créativité, au déploiement de l’imaginaire et du fantasme. Le passage de la reconstitution du tout depuis la partie, que la préhistorienne Claudine Cohen évoque en termes de Méthode de Zadig (1), ouvre un espace dans lequel se lovent autant la science que les arts de l’imaginaire. La matière première qui trame ces récits et images n’est donc pas faite d’archives écrites ou de témoignages, mais bien d’empreintes : traces, contours et fossiles qui donnent une image en creux depuis laquelle convoquer le passé lointain. Essentiellement déficitaires, ces données infléchissent toute reconstitution ou interprétation vers la fiction. L’imaginaire qui se déploie alors renseigne autant sur l’époque excavée que celle depuis laquelle on affouille le passé, dans la mesure où l’empreinte préhistorique nourrit l’imaginaire d’une société qui se projette en elle en fantasmant ses origines.

En retour, ce sujet invite à nous demander quelles empreintes laisser intentionnellement à l’archéologue de demain. Dans une ère que certain.es évoquent en termes d’« anthropocène », une société peut elle-même concevoir son avenir, sa disparition et les empreintes qu’elle lèguera au futur. Par exemple, les capsules temporelles conçues au sein de notre contemporanéité, une plaque figurative et codée acheminée dans l’espace via nos sondes spatiales à l’attention d’autres civilisations, la signalétique des sites d’enfouissements nucléaires pensée pour s’adresser à de lointaines civilisations terrestres… ne peuvent-elles pas être comprises comme des fossiles anticipés et intentionnels, produits par une civilisation qui prend conscience de son obsolescence et de sa finitude ?
 
AXE 2 : Numérique et éthique de l’empreinte

Le contexte dans lequel nous vivons est marqué par divers usages des technologies numériques et qui contribuent à l’échelle « macro » à une nouvelle forme de technocratie, comme l’ont démontré l’influence des GAFAM (2)  et la portée de leurs scandales (Facebook-Cambridge Analytica, par exemple). Il nous semble donc important de réfléchir aux bonnes pratiques et de valoriser les justes connaissances qui concernent le rapport entre nos empreintes numériques et leur valeur. Réfléchir par effet à la question de la trace que nous laissons sur internet en parsemant la toile de nos données malgré l’actuel « pseudonymat (3)  » : informations financières, lieux visités, conversations, etc. pouvant porter atteinte à nos vies privées. Quoique diverses avancées réformistes existent en la matière, - par exemple, la RGPD (Règlement Général sur la Protection des Données), ou encore la « loi sur la réduction de l’empreinte environnementale du numérique » datant du 15 Novembre 2021 -, notre travail d’universitaires et d’artistes nous impose de critiquer et d’éveiller aux réelles dynamiques mises en place et de « raisonner » l’empreinte du numérique en général, et sa consommation énergétique en particulier.

En effet, même si l’on peut penser que du courrier au courriel la dématérialisation a réduit l’impact des activités humaines sur l’environnement et notamment sur la ponction des ressources naturelles, il n’empêche que le numérique représente, en 2020, 3% à 4% des émissions de gaz à effets de serre dans le monde (2,5% en France), ce qui toutefois représente une part assez faible en comparaison du secteur des transports (31% de GES) et du secteur de l’agriculture (19%( 4) de GES). Néanmoins, cette part est exponentielle, puisqu’elle représentera 6,7% de l’empreinte nationale en 2040 (+60% dans le rapport de l’ARCEP (5)). 

Outre le fait social et éthique du numérique, celui-ci représente aussi un basculement ontologique dans notre rapport à l’image et à la représentation de façon générale. De l’« un » argentique au « multiple » numérique, les grains d’argent s’opposent aux pixels, l’instantané à l’image logicielle (6), et ces différences nous interrogent finalement sur la manière de faire empreinte : les images ne sont plus créées à partir d’un processus mécanique, mais selon des coordonnées informatiques (le code) qui produisent des « corps cybernétiques (7) » . Enfin, si les contenus numériques sont bien entretenus, - pas de surchauffe, pas de perte, pas de corruption de matériel -, ils ne périssent pas, ils s’archivent et perdurent ainsi dans une « éternelle jeunesse (8) ». Ce colloque aura donc une dimension pédagogique puisqu’il a pour objectif de comparer les systèmes d’empreinte, afin de comprendre ce qui les différencie ou ce qui les confond. Ainsi pourrions-nous faire émerger une typologie des empreintes. Par « systèmes d’empreinte », nous faisons référence aux phénomènes technologiques, aux processus de (re)présentation, aux supports et aux messages qui se transmettent par l’activité humaine et le geste artistique.
 
D’autres axes peuvent être envisagés. Les organisateur.trice.s se donnent comme objectif de valoriser les activités de recherche et de création en mêlant des tables rondes et une exposition artistique.
 
---
1. Claudine Cohen, La Méthode de Zadig, Paris, Seuil, 2011.
2. Google, Apple, Facebook (Meta, aujourd’hui), Amazon et Microsoft.
3. Un internaute peut cacher son identité en utilisant un pseudonyme, néanmoins il laisse la trace de son identité derrière lui notamment via son adresse IP.
4. Notre-environnement.gouv. Site de la République Française
5. Autorité de régulation des communications électroniques, des postes et de la distribution de la presse
6. CHIROLLET, Jean Claude, Penser la photographie numérique. La mutation digitale des images, Paris, L’Harmattan, 2015, p. 21-22.
7. QUINTANA, Àngel, Virtuel ? , Paris, Cahier du cinéma, 2009, p. 25.
8. CHIROLLET, Jean Claude, op. cit, p. 25.

Orientation bibliographique :

BARTHES, Roland, La Chambre claire : note sur la photographie, Paris, Gallimard, 1980.
BAZIN, André. “Ontologie de l’image photographique” dans Qu’est-ce que le cinéma ?, Paris, Cerf, 1976.
BENJAMIN, Walter, L’Œuvre d’art à l’époque de sa reproductibilité technique, Paris, Allia, 2011.
BERGOUNIOUX, Pierre, L’Empreinte, Paris, Fata Morgana, 2021.
BOUTAUD, Aurélien, GONDRAN, Natasha, L’Empreinte écologique, Paris, La Découverte, “Repères”, 2018.
CHIROLLET, Jean Claude, Penser la photographie numérique. La mutation digitale des images. Paris, L’Harmattan, 2015.
COHEN, Claudine, La Méthode de Zadig, Paris, Seuil, 2011.
DIDI-HUBERMAN, Georges, La Ressemblance par contact, Paris, Les Éditions de Minuit, 2008.
FARASSE, Gérard, Empreintes (Baudelaire, Colette, Friedrich, Gombrowicz, Jaccottet, Larbaud, Mallarmé, Michaux, Ponge, Réda, Saint-John Perse, Supervielle, Thomas), Paris, Presses Universitaires du Septentrion, 1998.
FOUCRIER, Chantal (dir.), Les Réécritures littéraires des discours scientifiques, Michel Houdiard éditeur, 2006.
MONDZAIN, Marie José, Homo Spectator, Paris Bayard, 2013.
QUINTANA, Àngel, Virtuel ?, Paris, Cahier du cinéma, 2009.

Comité scientifique :

- Emmanuel BOLDRINI
- Léa DEDOLA
- Bastien MOUCHET

Comité d’exposition :

COSMOSIA (Julien Lomet, Maëlys Jusseaux, Piers Bishop, Nataliya Velykanova, Léa Dedola)

Calendrier :

- Les propositions d’articles ou d’œuvres d’une quinzaine de lignes, accompagnées d’une notice bio-bibliographique (et/ou d’un visuel), devront être adressées au comité scientifique (valeurs.empreintes@gmail.com) au plus tard le 16 septembre 2022

- Les auteurs et artistes seront informés de l’acceptation de leurs propositions le 25 novembre 2022
 

Informations pratiques

Lieu(x)

Campus Berges du Rhône

Université Lumière Lyon 2, Amphithéâtre Jaboulay
15 rue Jaboulay, 69007, Lyon

Maison Internationale des Langues et des Cultures
35 rue Raulin 69007, Lyon