Publié le 6 février 2023 Mis à jour le 5 septembre 2024
le 31 mars 2023

Université Jean Moulin Lyon 3 et Université Lumière Lyon 2

Appel à communications pour un colloque organisé les 19 et 20 juin 2023

Depuis les années 1970, les effets de la mondialisation s’exercent sur l’ensemble des champs de production culturelle. Comme le soulignent Gisèle Sapiro, Jérôme Pacouret et Myrtille Picaud dans la revue Actes de la recherche en sciences sociales (2015), ces champs ont connu une intensification des processus de « marchandisation », de « médiatisation » et 
d’« internationalisation », ainsi que des formes de « professionnalisation » et de « rationalisation », qui ont intéressé aussi bien le plan de la production que celui de la circulation des biens symboliques. Les contraintes économiques et l’exigence de rentabilité se sont accrues non seulement pour des industries culturelles comme l’édition (Bourdieu, 1999; Thompson, 2010), mais aussi pour le spectacle vivant qui n'échappe pas à son « absorption progressive […] par la logique néolibérale » (Neveux, 2013). Dans un contexte de surproduction et de concentration des ressources autour de grands groupes, la médiatisation « est devenue un enjeu des luttes pour l’accès à la visibilité, d’autant que l’espace médiatique dédié à la culture tend à se réduire » (Sapiro, Pacouret, Picaud, 2015). En outre, les champs culturels se sont considérablement internationalisés et les échanges se sont multipliés, comme l’indiquent les données liées à la circulation des œuvres et de leur producteur·ice·s (Sapiro, 2008) et aux nouveaux modes de production et de diffusion de la culture.

Dans son Post-scriptum [aux] Règles de l’art, Pierre Bourdieu dénonçait déjà « l’interpénétration de plus en plus grande entre le monde de l’art et le monde de l’argent » (1992). Bourdieu nous a également légué des outils épistémologiques particulièrement pertinents pour explorer ces logiques d’interpénétration ou de « domination », qui peuvent se manifester entre un champ et un autre au sein d’un même espace social. Durant les années 1990 et 2000, d’autres sociologues de la culture qui se revendiquent de la théorie des champs, ont développé des outils épistémologiques contribuant à faire émerger un paradigme critique moins idéalisant de la culture et de ses enjeux. Ces outils permettent aussi d’identifier les rapports de force inégaux et l’asymétrie des échanges entre différents champs culturels au niveau global. Pascale Casanova rendait déjà compte de ces mêmes rapports de force à travers l’opposition « centre/périphérie » (1999). Après sa mort prématurée, d’autres chercheur·euse·s tel·le·s que Gisèle Sapiro (2013) ou Tristan Leperlier (2018) ont montré que le dépassement d’un certain « nationalisme méthodologique » (Wimmer, Schiller, 2002) est aujourd’hui non seulement souhaitable, mais aussi nécessaire, si l’on veut étudier les  mécanismes de fonctionnement de ces espaces spécifiques que sont les champs culturels transnationaux (Brahimi, Leperlier, Sapiro, 2018).

Ce colloque international est l’aboutissement de cinq séances préparatoires qui ont pris la forme de séminaires organisés entre mars et novembre 2022 au sein de l’Université Jean Moulin Lyon 3. Les axes structurants du colloque reprennent les thématiques de ces séances : Migrations et diasporas ; Espaces culturels transnationaux ; Prix et festivals internationaux ; Coproductions et partenariats internationaux ; Financements et programmes de soutien aux acteur·ice·s culturel·le·s.

Dans le cadre d’une première séance, nous avons interrogé avec Gisèle Sapiro, Ali Bader et Waël Ali les enjeux et les effets des migrations dans différents champs de production culturelle, tels que la littérature et le théâtre. Dans une deuxième séance, nous avons dépassé l’opposition centre/périphérie pour mettre notamment l’accent sur les rapports de forces propres à chaque aire. Nous avons envisagé le statut doublement périphérique de la littérature au Maghreb — dans l’aire francophone et dans l’aire arabophone — avec l’écrivain et universitaire marocain, Mohammed Berrada et le chercheur Tristan Leperlier. La fonction des prix et des festivals internationaux a fait l’objet de la troisième séance. Avec la chercheuse Chloé Delaporte et deux expertes, Elena Pollacchi et Lya Li, nous avons étudié les enjeux socioculturels, économiques et géopolitiques qui traversent ces circuits de diffusion et ces mécanismes recompensatoires, en nous concentrant sur la circulation transnationale des films chinois. Nous avons ensuite accueilli le producteur Cristiano Bortone, avec lequel nous avons sondé les mécanismes propres aux coproductions cinématographiques avec la Chine, ainsi que les défis auxquels font face les films européens qui accèdent au deuxième marché cinématographique du monde. Enfin, dans une dernière séance consacrée aux financements et dispositifs de soutien à destination des acteur·ice·s culturel·le·s, nous avons invité Geoliane Arab, responsable international de l’ONDA (Office national de diffusion artistique), et Manuèle Debrinay-Rizos, présidente du Fond Roberto Cimetta. Leur expertise nous a permis de problématiser les enjeux relatifs à la mobilité des artistes et la circulation des œuvres étrangères sur le territoire français.

Si notre projet de recherche initial a questionné les effets de la mondialisation sur les aires culturelles sinophone et arabophone, ce colloque vise à élargir la réflexion à tous les champs de production culturelle situés en dehors des grands centres de l’Europe de l’Ouest et de l’Amérique du Nord. Toute démarche de recherche visant à complexifier et nuancer les rapports scalaires entre différents espaces et à montrer les modalités, parfois contradictoires, de leur imbrication, sera particulièrement bienvenue. De manière similaire, l’étude de phénomènes communs à plusieurs aires culturelles ou linguistiques est vivement encouragée. Ainsi, vos communications peuvent répondre à l’un ou plusieurs de ces axes sans s’y limiter.

Migrations et diasporas
Parmi les facteurs qui contribuent à l’affaiblissement des logiques de clôture nationale propres aux champs culturels, on retrouve les migrations forcées et tous les autres phénomènes diasporiques qui entraînent une circulation accrue des producteur·ice·s ou des intermédiaires. Ces phénomènes peuvent également représenter des facteurs de transnationalisation, à plus forte raison dans une conjoncture de crise. C’est le cas de la Syrie, où après la mutation des soulèvements pacifiques de 2011 en guerre civile, on constate l’émergence d’un champ théâtral transnational (Dubois, 2019). Souvent centrées sur des cas individuels, les études des effets des migrations sur la culture n’inscrivent pas toujours ces phénomènes dans les rapports de force inégaux présents dans le champ culturel international, ni ne se concentrent sur les inégalités qui existent entre les producteur·ice·s ou les intermédiaires. Ces études ne s’intéressent pas non plus à leurs spécificités professionnelles, ni à des variables sociales telles que le genre, l’âge, les origines et les types de capitaux détenus (Sapiro, 2023). Par ailleurs, l’étude des champs touchés par d’importantes vagues migratoires nous amène à interroger le positionnement des acteur·ice·s culturel·le·s en diaspora vis-à-vis de leurs pairs restés dans le pays, ainsi que les effets de ce positionnement sur leurs champs nationaux.

Espaces transnationaux
Les espaces culturels transnationaux constituent un autre défi au nationalisme méthodologique, en révélant ses limites et en questionnant ses outils. Les dynamiques culturelles du monde mondialisé se laissent en effet difficilement décrire dans les limites imposées par le découpage arbitraire des états-nations (Sapiro, 2018). Concernant les phénomènes de transnationalisation, l’existence d’aires linguistiques étendues à plusieurs pays, à l’instar de l’aire arabophone, nous amène à questionner la notion même de champ (Leperlier, 2021) : Peut-on parler de champs nationaux dans des aires composées de nations fortement interdépendantes à la fois économiquement et symboliquement ? Ces aires peuvent-elles constituer des champs culturels à part entière ? Serait-il possible de circonscrire un champ régional ? Quels sont les effets de la mondialisation sur les rapports de force et les luttes symboliques au sein de ces espaces ? Comment la mondialisation contribue à les transformer, les altérer, voire les inverser ?

Prix et festivals internationaux
Dans Les Règles de l’art, Pierre Bourdieu met en lumière le rôle des prix dans les processus de consécration des acteur·ice·s et la construction de la valeur des œuvres (1999). Depuis, on assiste à l’accroissement et la diversification des acteurs qui mettent en œuvre des « dispositifs récompensatoires », comme le remarque Delaporte pour le champ du cinéma (2021, 2022). De pair, ce phénomène a enrichi les réseaux de professionnels de cette économie spécifique permettant ainsi la croissance du réseau bourdieusien « d’interconnaissance et d’inter-reconnaissance » (ibid.), dont les ramifications sont devenues de plus en plus complexes. La (re)connaissance des œuvres issues d’espaces dominés – qu’elles soient littéraires, performatives ou cinématographiques – est notamment impulsée par le système festivalier, caractérisé par une forte internationalisation des programmations. Les festivals permettent de faire place à des artistes considérés comme en dehors des réseaux institutionnels par le simple fait qu’ils sont chargés de faire découvrir. En revanche, comme le souligne Olivier Neveux, chercheur en études théâtrales, la logique programmatrice induit « la cohabitation de spectacles qui remplissent, à leur tour et à leur place, la fonction assignée » (2013). Pour analyser cette fonction, l’institution festivalière constitue un lieu d’enquête privilégié étant donné qu’elle « s’est appropriée l’échange et [qu’elle est] désormais propriétaire des altérités » (Jourdheuil, 2011). Dans le champ de la littérature, les enjeux programmatiques de l’institution festivalière sont encore moins étudiés, à quelques rares exceptions (Sapiro, Pacouret, Picaud, Seiler, 2015).

Coproductions et partenariats internationaux
Les collaborations artistiques et financières du type des coproductions internationales ou des co-créations sont croissantes dans le champ culturel de plus en plus mondialisé. Si les coproductions constituent avant tout un apport financier nécessaire à la création artistique, et particulièrement au sein d’espaces qui manquent de ressources dédiées, elles permettent surtout l’inscription et la circulation des œuvres dans le champ culturel international. Dans certains cas, elles sont aussi un moyen de détourner des critères et des interdits sociaux et politiques. En revanche, même s’il s’agit de collaborations, la forte asymétrie existant entre les contextes matériel, politique et symbolique des partenaires induit un rapport de force déséquilibré sur plusieurs plans. Les coproductions cinématographiques internationales engendrent également une remise en cause des industries nationales et renforcent le clivage entre les artistes qui y ont accès et les autres. Dans le champ du spectacle vivant, les collaborations internationales, comme les co-créations, au sein desquelles il existe des rapports de forces entre les parties impliquées révèlent que l’auctorialité des œuvres revient majoritairement au partenaire issu et actif dans un espace dominant. À quel point peut-on considérer que les collaborations internationales permettent la reconnaissance des artistes impliqués quand ils sont issus d’espaces dominés ? Comment se joue le rapport de force dans le détail des différentes étapes de la collaboration et du processus de création ? Quelles sont les conséquences pour les écosystèmes et les industries nationales ?

Financements et programmes de soutien aux acteur·ice·s culturel·le·s
Dans des pays où les subventions étatiques des ministères de tutelle sont faibles voire inexistantes, les acteuri·ce·s de différents segments du champ de production culturelle adoptent  l’auto-production et/ou se tournent vers des donateurs et organisations régionales mais surtout vers des donateurs internationaux. Les fonds octroyés peuvent cependant être soumis à des conditions de plusieurs ordres. D’abord, obtenir des fonds implique des connaissances méthodologiques spécifiques tout comme la maîtrise d’une autre langue – majoritairement  l’anglais. Surtout, certains financements sont conditionnés politiquement à l’instar de la clause antiterroriste que l’Union Européenne ajoute à ces financements aux ONG palestiniennes en 2019. Ces critères peuvent alors contrevenir aux visions et aux missions des acteur·ice·s culturel·le·s Si les critères des différents donateurs sont à analyser, les conséquences pour le champ culturel ainsi que les outils et stratégies déployées par les artistes pour poursuivre leur travail et répondre parfois partiellement aux exigences des donateurs, sont aussi à interroger. Quand les financements ou les dispositifs – d'accompagnement à la création ou d’aide à la circulation des œuvres et des artistes – sont alloués ou mis en place par des institutions, des fondations ou mêmes des acteur·ice·s culturel.le.s directement, parviennent-ils à s’affranchir de ces critères méthodologiques et politiques ? De quelle manière ? De nouveaux critères émergent-ils alors de ces initiatives ?
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Les propositions devront parvenir aux deux adresses echanges.pouvoirs.mediations@gmail.com et chabratkajdan@gmail.com avant le 31 mars 2023. Elles devront comporter de 300 à 400 mots et sont à rédiger en français en priorité ou, à défaut, en anglais. Vous recevrez une réponse début avril 2023. Une publication des actes est prévue à l’issue du colloque.

Si vous ne parvenez pas à obtenir de financements de votre université ou de votre organisme pour ce colloque, nous participerons d’une part des frais engagés.

Calendrier 
Envoi des propositions de communication : avant le 31 mars 2023
Réponses envoyées aux intervenent·e·s : avant le 14 avril 2023
Tenue du colloque : le 19 et le 20 juin 2023 

Comité d’organisation 
Chakib Ararou (IREMAM, Aix-Marseille Université)
Giorgio Ceccarelli (IETT, Université Jean Moulin Lyon 3)
Astrid Chabrat-Kajdan (Passages Arts et Littératures XX XXI, Université Lumière Lyon 2)
Antonio Pacifico (IETT, Jean Moulin Université Lyon 3)

Comité scientifique 
Chakib Ararou (IREMAM, Aix-Marseille Université)
Giorgio Ceccarelli (IETT, Université Jean Moulin Lyon 3)
Astrid Chabrat-Kajdan (Passages Arts et Littératures XX XXI, Université Lumière Lyon 2)
Touriya Fili-Tullon (Passages Arts et Littératures XX XXI, Université Lumière Lyon 2)
Corrado Neri (IETT, Jean Moulin Université Lyon 3)
Flora Lichaa 李风华 (CCMC, Université Rennes 2)
Tristan Leperlier (CNRS)
Antonio Pacifico (IETT, Jean Moulin Université Lyon 3)
Monica Ruocco (DAAM, Università di Napoli “L’Orientale”)

 

Informations pratiques